L’eau partout
Un peu d’oxygène, deux fois plus d’hydrogène, voici la formule chimique toute simple de la petite molécule de l’eau, l’un des quatre éléments naturels avec la terre, l’air et le feu.
Dans notre corps, dans notre vie quotidienne, dans tous les lieux connus, l’eau est partout. Sur la planète, c’est encore plus vrai : « À la surface du globe, l’eau est la généralité, la terre est l’exception » a si bien résumé l’historien Michelet.
1- En haut, en bas, l’eau primordiale
Hartmann Schedel : Liber chronicarum. Nuremberg : Anton Koberger, 1493
Incunable somptueusement illustré de plus de 1800 gravures, enluminées à la main dans les plus beaux exemplaires, les Chroniques dites de Nuremberg, du nom de la ville allemande où elles sont nées, racontent l’histoire du monde depuis son origine jusqu’à sa fin programmée. Le récit de la Création est emprunté au livre de la Genèse. L’eau y tient une place essentielle. Au deuxième jour, Dieu dit : « Qu'il y ait une étendue (le ciel) entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. » Séparées des eaux d’en haut, celles qui tombent, par les « portes du ciel » sous forme de pluie, de neige ou de grêle, les eaux d’en bas sont, au troisième jour, rassemblées dans les mers et les fleuves pour faire émerger une terre ferme et fertile. Synthétisant foi chrétienne et science païenne, le compilateur des Chroniques, le médecin Hartmann Schedel, interprète le récit biblique à la lumière des théories astronomiques et philosophiques des anciens Grecs : le cosmos est un emboitement de sphères et sa matière est composée de quatre éléments primordiaux – la terre, l’eau, l’air, le feu. L’illustrateur tire de ces spéculations de fascinantes compositions abstraites.
2 - Parlez-vous chimie ?
Méthode de nomenclature chimique proposée par MM. de Morveau, Lavoisier, Berthollet et de Fourcroy. Paris : Cuchet, 1787
Antoine Lavoisier, père de la chimie moderne, déclare devant l'assemblée de l'Académie royale des sciences le 18 avril 1787 : « Nous aurons […] trois choses à distinguer dans toute science physique. La série des faits qui constitue la science ; les idées qui rappellent les faits ; les mots qui les expriment. Le mot doit faire naître l'idée ; l'idée doit peindre le fait […]. Il en résulte qu'il serait impossible de perfectionner la science, si on n'en perfectionnait le langage […]. » Les progrès de la chimie se heurtent en effet à un langage inadapté, hérité de l'alchimie (science occulte du Moyen Âge qui cherche à purifier la matière, changer par exemple le plomb en or) et à la coexistence de plusieurs noms pour un même corps. Une mise à jour de l'ancienne nomenclature de chimie est alors entreprise à l'initiative de quatre chimistes français : Guyton-Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy. Leurs travaux sont rassemblés dans cette publication. L’oxygène est représenté par un trait horizontal, l’hydrogène, par un demi-cercle ouvert à gauche, le calorique (le fluide qui véhicule la chaleur) par un trait vertical dont la position dans le symbole indique sa plus ou moins grande quantité. La combinaison de ces trois signes permet de représenter l'eau dans ses divers états (glace, vapeur et liquide). Pour la première fois avec Lavoisier, l’eau cesse d’être l’un des quatre éléments hérités de la physique antique pour devenir une substance constituée de plusieurs éléments.
3 - La congélation : un must des Lumières
Dortous de Mairan : Dissertation sur la glace. Paris : Cuchet, 1749
Avec les aurores boréales, le son, l'électricité, l’organisation animale..., la congélation compte au nombre des « premiers ressorts de la machine du monde » qui fascinent les savants. Dans le sillage de l’Académie royale des sciences créée en 1666, un grand nombre d’expériences sont réalisées à la « faveur » des rudes hivers du règne de Louis XIV. On est alors au cœur du « petit âge de glace ». Le jeune mathématicien Jean-Jacques Dortous de Mairan, protégé de l’évêque de Béziers, s’y intéresse et remporte sur ce thème le concours de l’Académie des sciences de Bordeaux de 1715. Trois décennies plus tard, devenu une figure majeure du monde savant européen (il tombera dans l’oubli peu après), il donne une version augmentée de sa Dissertation sur les glaces. Dans l‘intervalle, il a eu accès à un nouvel outil importé d’Italie : le thermomètre.
L’ouvrage s’intéresse à la formation des glaces, à ses propriétés (volume, dureté, froideur, goût, transparence…) et à la congélation artificielle. Au frontispice, l’explorateur scientifique est un gentilhomme, qui pointe, sur un globe, le pôle. La montagne de glace réfléchit les rayons du soleil. La mer et les nuages évoquent les autres phases de l’eau. Les congères ressemblent à des arbustes. Sur la banquise, des livres et un rouleau symbolisent le savoir.
4 - A poil, la flotte ? Invention de l’hygromètre à cheveu
Horace-Bénédict de Saussure : Essais sur l'hygrométrie. Neuchâtel : Fauche, 1783
Défraichi, de fabrication ordinaire, vaguement doté vers 1850 d’une couverture remployant les débris d’une revue littéraire sur laquelle a été apposée une pièce de titre manuscrite, le présent bouquin n’a rien de flamboyant. Son éditeur, Samuel Fauche, l’un des éditeurs de la Société typographique de Neuchâtel, s'est imposé depuis cette principauté suisse, comme un acteur majeur du livre et du savoir au siècle des Lumières. Quant à l’auteur, polyvalent et aventurier, il est représentatif de la figure du scientifique des Lumières. Fondateur de l’hygrométrie (l’étude et la mesure de l’humidité dans l’air et les gaz), il est l’inventeur de l’hygromètre à cheveu. Chacun le constate après la douche : le cheveu est hygroscopique, il absorbe l’humidité, et alors s’allonge. Si l’air s’assèche, il se rétracte. À la médiathèque Zola, nous rendons chaque jour hommage à Saussure, le contrôle de l’hygrométrie étant une des mesures incontournables des réserves de bibliothèques et de musées.
5 - Naissance d’un colosse
Charles Nodier, Justin Taylor, Alphonse de Cailleux : « Pont de neige et cascades de Gavarnie ». Dans : Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France : Bas Languedoc. Paris : Didot, 1833-1837
Au tournant des années 1800, l’idéologie romantique rencontre l’innovation lithographique pour mettre à disposition des milieux aisés une profusion d’images émouvantes du monde. Des monuments gothiques des provinces aux ruines gréco-romaines, en passant par les pyramides égyptiennes, les traces sont mises en spectacle, sous l’égide du baron Taylor, grand maître d’œuvre durant un demi-siècle des Voyages pittoresques… et commissaire royal du Théâtre français. Dans cette esthétique du voyage lent, profond, contemplatif, les « monuments » de la nature trouvent une place. Si le Cirque de Gavarnie a été arpenté par les cartographes du XVIIIe siècle, c’est bien de l’époque romantique que date la notoriété de ses hauts glaciers. Dix ans après la présente publication, Victor Hugo, un autre monstre du romantisme, visite les Pyrénées : dix ans de plus et dans son long poème Dieu il évoque : « c’est le colosseum de la nature ; c’est Gavarnie ». Encore presqu’un siècle et les effets conjugués du revival marial dans le catholicisme français (pèlerinage de Lourdes) et de l’automobile en feront un haut lieu de tourisme, bénéficiant d’un classement en 1921.