Eau courante : roues, rigoles et robinets

gravure eau rigole personnages

La facilité du robinet nous a fait oublier qu’il n’est pas si loin le temps où il fallait se munir d’un seau pour aller puiser les litres du jour à la fontaine du village, à la citerne du château ou au puits du jardin, ce qui faisait de chaque cruche un bien précieux à la campagne et des porteurs d’eau l’un des petits métiers les plus communs à la ville. Des générations d’ingénieurs ont ensuite détourné des sources, canalisé des rivières, aménagé des aqueducs pour conduire l’eau courante et ont élevé l’arrosage à un art hydraulique.

6 - Corvée d’eau !

Une orjol à arceaux [cruche à eau], XVIIe s. © Site archéologique Lattara - Musée Henri Prades

 

L’orjòl (ou arjòl) désigne en languedocien une cruche, parfois de dimension considérable, qui servait à aller chercher l'eau au puits ou à la fontaine, à la transporter jusqu'à la maison et la conserver.  Elle est munie d’un long bec tubulaire et de deux fortes anses qui permettent de la prendre à deux mains ou de la suspendre à une corde. Cette poterie du quotidien en terre cuite partiellement vernissée témoigne d’un temps où l’eau ne coulait pas au robinet.

7 - Les grandes villes ont soif

Ville de Montpellier : Sauvons-le Lez : notre source, notre rivière. Montpellier : service de l'eau, service de l'assainissement, 1981

 

« Les grandes villes ont soif, très soif » ainsi qu’il est joliment dit dans cette plaquette pédagogique réalisée, il y a plus de 40 ans déjà, par la Ville de Montpellier et qui visait à sensibiliser le public à la problématique des eaux du Lez. Rivière de 28 km de long qui donnait au port médiéval de Montpellier son accès maritime, le Lez est aussi la source qui alimente aujourd'hui les trois-quarts de l’agglomération montpelliéraine en eau. Son exploitation a commencé au XVIIIe siècle avec la construction par l’ingénieur Pitot du fameux aqueduc Saint-Clément reliant la source au réservoir du Peyrou. Dans la seconde moitié du XXe siècle, Montpellier voit sa population grandir à tel point que les ressources en eau ne suffisent plus. En 1962, elles sont complétées par un apport venant du Rhône via le canal Philippe Lamour. L’échéance est repoussée mais le problème se repose rapidement. Le maire Georges Frêche, prenant appui sur les travaux du géologue Jacques Avias, opte alors pour une solution locale ambitieuse : créer une usine permettant de pomper, en profondeur et à grande échelle, la source du Lez dont les réserves sont immenses. Celle-ci est inaugurée en 1982.

8 - Eau publique et forage privé

Jean-Marie Amelin : « Montpellier, jardin de M. Fabre ». Dans : Atlas des vues pittoresques du département de l'Hérault.1822  

 

Les albums de dessin du professeur Amelin, qui enseigna à l'école militaire de Montpellier dès 1816, constituent un témoignage de la production d’images de l’époque romantique. On est encouragé à croquer, pour mise en gravure, les vues pittoresques des provinces ou pays étrangers, afin d’en rechercher, au détriment parfois de la précision et de la vérité exacte, un air d’authenticité.  
La légende manuscrite d’Amelin indique qu’il s’agit du « jardin de Mr. Fabre », lequel Antoine Fabre, selon deux autres dessins, possédait un autre puits (plus simple) et une maison à Boutonnet. Jusqu’à l’urbanisation du quartier des Arceaux vers 1880, l’aqueduc Saint-Clément traversait la campagne. La valeur documentaire de la présente image est toutefois difficile à évaluer : en omettant tout autre élément (édifice, personnage...), le dessinateur, qui a consacré des dizaines de croquis au lavis ou à la mine à l’Aqueduc et ses abords, thématise ici la mise en perspective de l’eau publique et du forage privé, de l’eau monumentale et de l’eau agricole. Très pittoresque !

 

9 - Machine ou monument ?

Colonne d'équilibrage de l'aqueduc Saint-Clément : vue perspective. 1935 © Archives de Montpellier

 

Cette colonne ou cheminée connue sous le nom de colonne Saint-Éloi, du fait de sa proximité avec l’hôpital du même nom, est d’abord un organe technique destiné à réguler la pression de l’eau à l’intérieur du réseau et à éviter ainsi ce que les plombiers appellent des « coups de bélier ». L’architecte de la Ville de Montpellier, Marcel Bernard, en fait un monument architectural et un repère urbain. Il reprend les codes de l’architecture classique, s’inspirant en particulier de la colonne de la Liberté et de la Concorde construite à Montpellier pendant la Révolution et détruite en 1814. Toutefois, en admirateur d’Auguste Perret, Bernard réinterprète son modèle dans un sens moderniste en recourant au béton armé et au « style sans ornement ».

10 - Un manuel d’ingé

Bernard Forest de Bélidor : Architecture hydraulique, ou l'art de conduire, d'élever et de ménager les eaux pour les différents besoins de la vie. Paris : Jombert, 1737-1752

 

Bélidor, c’est l'école d’ingé avant les écoles d’ingé. Au siècle des Lumières, le besoin de diffuser les acquis des sciences appliquées, notamment au domaine militaire, conduit à l’apparition de manuels techniques soutenus, aux contenus consolidés, relevant à la fois de la science (démonstrations), de l’utilisation pratique (préceptes applicables validés) et de la conduite de travaux (cahiers des charges pour maîtres d’ouvrage). Le colonel Bélidor est un maître du genre, à la fois auteur et praticien (si quinze ans séparèrent le premier et le second tomes du présent ouvrage, c’est en raison de sa mobilisation dans la Guerre de Succession d’Autriche). Il déborde toutefois le terrain de l’architecture militaire pour s’adresser aux ingénieurs civils, comme le vérifie cette planche présentant des roues à chapelets et godets. L’architecture hydraulique de Bélidor demeurera un classique pendant au moins un siècle.