Eaux mobiles : flottages, halage et canotage

carte couleurs canal midi bassin

Si tous les chemins mènent à Rome, dans le Midi, tous les canaux mènent à la Méditerranée : Marseille la phocéenne, Lattes l’étrusque, Agde la grecque dans l’Antiquité annoncent Montpellier la médiévale et Sète la moderne. Il y a une raison bien simple à tout cela : bien plus que sur les chemins de terre, c’est sur les voies navigables que les marchandises se transportent le mieux, le plus facilement et en plus grosse quantité. Par flottage ou halage, mariniers, bateliers et autres coches ont transportés des tonnes de marchandises, sculptant le paysage en berges ou en canaux.

11 - L’un des premiers marchés aux épices de Méditerranée

 

Sommaire des actes relatifs aux droits de censive du consulat de mer. 1309-1604 © Archives départementales de l’Hérault

 

L’écu représenté en couverture de ce manuscrit figure des grains de poivre et des clous de girofle symbolisant le corps des marchands poivriers de Montpellier, et témoigne d’une époque où Montpellier, grâce au commerce des épices, était devenu l’un des ports les plus vivants et les plus actifs de la Méditerranée. Le trafic des denrées orientales, l'importation des épices, leur transformation et l'exportation des compositions obtenues occupent une place majeure dans le commerce montpelliérain du Moyen-Âge. La censive est une redevance en argent ou en denrées, que certains biens doivent annuellement au seigneur du fief dont ils relèvent. Les consuls de mer la touchaient pour les fiefs dont ils avaient la jouissance.

12 - Vous n’échapperez pas au fisc !

 

Registre des élections et des délibérations des consuls et du clavaire de mer de Montpellier. 1596-1626 © Archives départementales de l’Hérault

 

La couverture en parchemin de ce manuscrit est aux armes de Montpellier. Le tourteau rouge sur fond blanc était autrefois le drapeau médiéval de la ville et l’emblème des Guilhem, l’ancienne famille seigneuriale. Les consuls de mer, dont on attribue la création à Guilhem V, apparaissent au début du XII e siècle. Au nombre de quatre, ils sont d’abord désignés par le seigneur de Montpellier, avant d’être élus par les consuls majeurs, dont émane leur autorité. Issus des différents corps de marchands de la ville, les consuls de mer appelés aussi « vaillants hommes », ont pour fonction de percevoir l’impôt sur le transport des marchandises (qu’elles entrent ou sortent de la cité) entre le port de Lattes et Montpellier, d’en consacrer les revenus à l’entretien des routes de Lattes, du grau et de la roubine qui permettent une mise en relation directe de Lattes avec les étangs et la mer, et enfin de veiller à la sûreté de la navigation. Ils obtiennent par la suite des attributions judiciaires pour juger des différends entre marchands et négociants. Leur siège se situe dans un bâtiment aujourd’hui disparu, la Loge des Marchands, situé à l’angle de la place de l’Herberie et de la rue de l’Aiguillerie. Les consuls de mer élisent parmi eux un clavaire de mer, officier municipal responsable de la surveillance, de la gestion des finances publiques, et collecteur des fonds publics. Ce document souligne l’importance vitale du réseau de canaux et d’étangs (alors navigables) qui faisait de Montpellier une étape incontournable sur la route du commerce maritime international.

13 - Un sujet de querelles sans fin : les droits d’eau

 

Les prés de Lattes et la roubine des marchands.  Plan aquarellé sur parchemin. XVIIe s. © Archives départementales de l’Hérault

 

Les marchands de Montpellier contrôlent à cette époque la juridiction sur le canal du Lez, de Montpellier à Lattes, assurée par le biais de l’institution des Consuls de mer, puis de la Bourse commune des marchands de Montpellier. Ils ont ainsi à charge l’entretien de la roubine, ce qui justifie la perception de droits de transport, qui constituent leur revenu principal. Les eaux du Lez ne servent cependant pas qu’à la navigation, elles irriguent aussi les terrains, figurés sur ce plan, qui bordent le canal. D’abord propriétés de deux institutions religieuses (les chapitres de Saint-Pierre et du Saint-Sauveur de Montpellier), ces prés sont vendus au cours du XIVe siècle à plusieurs propriétaires. Ceux-ci obtiennent, au XVIIe siècle, une règlementation relative au droit d’utilisation des eaux du Lez pour arroser leurs prés, puis se constituent, le siècle suivant, en société – la Société des arrosages de la roubine des marchands, à Lattes – pour défendre leurs intérêts. La question des droits d’eau suscite en effet – on a tous lu ou vu Pagnol – des contentieux sans fin !

14 - Une prouesse cartographique

 

François Garipuy : Carte générale du canal royal de la province de Languedoc. Paris : Picquet, 1771

 

Le canal du Midi a généré une intense production cartographique avant, pendant et bien après les travaux de Riquet. Lorsque l’astronome François Garipuy, inspecteur du canal pour les États du Languedoc, se voit confier la tâche d’en lever une nouvelle carte, cela fait presque un siècle qu’il a été livré. Il s’agit de préciser des tracés dans le contexte d’une négociation entre les États et les héritiers de l’ingénieur Riquet et de produire une carte conforme à l’état de l’art. De plus en plus, on attend des cartes un objectif de représentation géométrale : de restituer une juste mesure de l’espace (superficies, distances entre deux points). Garipuy consacre cinq ans au projet, produit jusque 600 pièces, bénéficie des travaux de Cassini dans le Languedoc, et fournit différents livrables. Gravée sur cuivre en 200 exemplaires, cette « carte générale » est dressée à l’échelle 1/86400, et court d’un seul tenant de Toulouse à l’étang de Thau. L’échelle constitue une prouesse technique, les cartes les plus larges, les moins détaillées, étant les plus ardues, car elles requièrent de compiler une grande documentation souvent dessinée à des échelles variables.

 

15 - Une première mondiale

 

[« Plan de l’écluse ronde d’Agde »]. Dans : Atlas, ou recueil de cartes, plans, dessins, planches d'histoire naturelle… Ex-dono François d’Aix de La Chaize. [Avant 1693]

 

Ce plan fait partie d’une série de 8 dessins à l’aquarelle insérés dans un recueil factice, compilation qui rassemble une collection de gravures et dessins du XVIIe siècle, regroupant des vues de ports, cartes marines, scènes de batailles, plans de monuments ou dessins d’architecture. Cette série concerne le canal du Midi à l’époque de sa construction, et représente des ouvrages d’art qui ont constitué une étape décisive dans la réalisation technique d’une entreprise qui a marqué l’esprit des contemporains. Seule écluse ronde au monde au moment de sa construction en 1676, bâtie en pierre noire basaltique, l'écluse d’Agde possède non pas deux portes, comme une écluse simple classique, mais trois, et joue donc sur trois niveaux d’eau différents. Sa forme arrondie permet aux bateaux de manœuvrer à l’intérieur et de choisir leur sortie : Béziers, l'étang de Thau (Sète) et la Méditerranée. Cette écluse faisait à l'origine 29,20 m de diamètre et 5,20 m de profondeur.