Eau lointaine : port, pêche et péniches

gravure chantier naval personnage féminin allégorique

« Homme libre, toujours tu chériras la mer » disait le poète : du misérable Pitalugue de monsieur Brun jusqu’à La licorne du capitaine Haddock, l’expédition en pleine mer, c’est l’aventure extrême, mais aussi et surtout la liberté absolue. Chaussées, digues et écluses conduisent d’abord les marins d’eau douce vers les ports. De là, mers et océans constituent le plus grand terrain d’enrichissement, de jeu ou de guerre qui attire le commerçant, l’aventurier ou le pirate.

16 - Apprendre à parler le marin

 

Nicolas Aubin : Dictionnaire de Marine, contenant les termes de la navigation et l'architecture navale […]. Amsterdam : Covens et Mortier, 1722

 

La pasteur Aubin a fui la France après la révocation de l’Édit de Nantes (1685). À Amsterdam, il se fait remarquer avec un opuscule consacré à l’extraordinaire affaire des possédées de Loudun, puis, au cœur de la plus grande nation commerçante de son temps, se passionne pour la marine. Il rédige un dictionnaire, qui traduit en français les termes de la marine de la hollandaise – la référence de l’époque. Cette publication s’inscrit dans un genre très en vogue au siècle des Lumières, celui des dictionnaires thématiques (musique, horticulture, droit... ont leurs lexiques). Exemple de définition : « DONNER le feu à un bâtiment [...] c’est-à-dire, mettre le vaisseau en état d’être braïé. Cela se fait par les calfateurs, qui après avoir rempli d’étoupe les jointures du bordage, allument de petits fagots faits de branches de sapin, et emmanchés au bout d’un bâton : ils portent tout-flambant sur la partie du bordage qui a besoin d'être carénée, et quand elle est bien chaude par le feu qu'on y a mis, ils appliquent le brai dessus. » Vous n’avez rien compris ? Un peu de courage moussaillon, ces quelques 879 pages ne doivent pas vous faire peur !

17 - Nul ne navigue ici s’il n’est géomètre

 

Pierre Bouguer : Nouveau traité de navigation, contenant la théorie et la pratique du pilotage […]. Paris : veuve Desaint, 1781

 

Ou Conduire un navire au XVIIIe siècle pour les nuls. Pierre Bouguer, rien moins que mathématicien, physicien, géodésiste et hydrographe français, nous livre un ouvrage complet sur les méthodes de navigation mises au point à la faveur des grands voyages de découverte depuis la fin du XVIIe siècle et perfectionnées par des pointures de l’astronomie et des mathématiques. Car avant le GPS, il fallait être un peu astronome pour se repérer en mer. L’ouvrage présente les instruments de mesures d’angles, les éphémérides du soleil, de la lune, des planètes, des étoiles ou encore les méthodes de calculs. Une des révolutions de ces dernières réside dans l’invention des logarithmes qui permettent de faciliter les multiplications de grands nombres. En 1795, le mathématicien Pierre Simon de Laplace fera l’éloge de cet outil : « admirable instrument, qui, en réduisant à quelques heures le travail de plusieurs mois, double si l’on peut dire la vie des astronomes… ». La carte présentée montre les variations de la boussole, c’est-à-dire les écarts entre le Nord « vrai » (le nord géographique) et le Nord magnétique (indiqué par la boussole).

18 - Un peintre de marines à succès

 

Claude-Joseph Vernet : Marine par une mer houleuse. XVIIIe s. © Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole

 

Auteur de la série des Ports de France – la plus grande commande de peinture du règne de Louis XV – l'avignonnais Claude-Joseph Vernet est l’un des maîtres français de la marine. Ce genre pictural est défini en ces termes dans l’Encyclopédie : « Ce mot se dit du spectacle de la mer, comme paysage se dit du spectacle de la campagne. La vue de la mer, de ses calmes, de ses bourrasques, de ses tempêtes, des dangers et des naufrages dont elle est le théâtre, offre des objets d'étude assez variés, assez vastes pour occuper un artiste tout entier, sans lui permettre de partager son temps à d'autres genres ». Cette liberté infinie se heurte cependant au désir des commanditaires qui, dans une logique de mimétisme social, veulent tous plus ou moins le même tableau. Cette tyrannie de la mode explique une certaine uniformisation des marines de Vernet qui lui vaudra ce mot terrible de Diderot : « Jadis il copiait la nature, aujourd'hui il copie sa chambre. »

19 - Poisson ou serpent ?

 

Joannes de Cuba : [Hortus sanitatis] Le jardin de santé. Traité des bêtes, oiseaux, poissons, pierres précieuses et urines. Paris : Antoine Vérard, Vers 1500

 

La seconde moitié du XVe siècle (l’âge des incunables) a connu une intense production de livres illustrés consacrés à l’histoire naturelle. Composé d’abord en allemand, le Jardin de santé de Jean de Cuba, savant originaire de Francfort, fut le premier traité du genre à ne pas être écrit en latin.  Dans la lignée de la production encyclopédique du Moyen Âge, le savoir compilé et simplifié n’en est pas moins issu des grands corpus antiques : Aristote, Pline... Le livre IV est consacré aux poissons.  On apprend ici que l’anguille tient son nom de sa ressemblance avec un serpent et qu’« on dit que en Orient au fleuve de Ganges naissent des anguilles aux pieds terrestres ». Quant à la brême, elle a été prestigieuse, « mais maintenant n’est plus en honneur, de quoy je mesmerveille car [elle] n’est pas souvent trouvée. »

20 - Où il peut vous arriver des bricoles

 

François Fortin : Les ruses innocentes […] avec les plus beaux secrets de la pêche dans les rivières et dans les étangs et un traité très utile pour la chasse et la manière de faire tous les rets et filets qu'on peut s'imaginer […]. Paris : Charles de Sercy, 1688

 

L’eau lointaine, c’est celle de la pêche hauturière, le monde des thoniers et – encore – des baleiniers, mais l’activité halieutique commence dans les étangs et les rivières de chez nous. C’est à elle que le « Solitaire inventif » – c’est le pseudo de l’auteur, qui était moine dans l’ordre de Grandmont – consacre la cinquième partie de son traité des « ruses innocentes », c’est-à-dire des pièges et des techniques multiples qu’emploient chasseurs et pêcheurs (ou braconniers). La planche exposée illustre la pêche au brochet, ce roi de nos eaux. On y montre trois types de hameçons, un exemple de vif – un petit poisson « gros comme deux doigts » – à y accrocher et la manière de confectionner une bricole, c’est-à-dire une ligne dormante (qui n’est pas tenue par le pêcheur, mais attachée sur la berge). 

21 - Le « scaphandre » de M. de La Chapelle, ou la ruée vers la flottaison

 

Jean-Baptiste de La Chapelle : Traité de la construction théorique et pratique du scaphandre ou du bateau de l'homme. Paris : Debure père, 1775

 

« M. L’abbé de La Chapelle briguait depuis longtemps l’honneur de faire en présence du roi l’essai de son scaphandre ou pourpoint de liège dont les papiers publics ont parlé plusieurs fois. Monsieur de la Chapelle s’est jeté à l’eau mais ne s’étant pas porté assez haut, il a dérivé et le roi n’a pu le voir que de loin. Il a effectué ces différentes opérations comme de boire, de manger, de tirer un coup de pistolet. » (Journal de Bachaumont) Contributeur pour l'arithmétique de la formidable encyclopédie dite de Diderot et d’Alembert, membre de plusieurs académies des sciences européennes, de la Chapelle se présente comme l’inventeur du « scaphandre ».  S’il est bien l’auteur du néologisme (issu du grec skaphe : barque et andros : homme), la chose est un système de flottaison, plus proche du gilet de sauvetage. À la même époque, plusieurs savants européens imaginent des dispositifs comparables, surtout à usage militaire, en utilisant les propriétés hydrophobes de l’écorce du chêne-liège, et en adoptant une approche biomimétique (en s’inspirant du monde vivant).

22 - Dans la nasse !

 

Fragment de nasse à poissons en osier. XIIIe s. © Site archéologique Lattara - Musée Henri Prades

 

Cette nasse en vannerie, ainsi qu’une autre, a été trouvée lors des fouilles du site de Port Ariane en 1999. Elle se trouvait dans le comblement d’un canal percé au début du XIIIe siècle pour alimenter les moulins et irriguer les prés de la plaine orientale de Lattes. L’une des deux nasses était en position de pêche : disposée dans le lit du courant, l’embouchure vers l’amont, elle était en butée contre un pieu auquel elle devait être amarrée. Ce rare objet témoigne d'une activité de pêche dans les cours d’eau complémentaire à la pêcherie en étang. Les sociétés médiévales consommaient beaucoup de poisson, du fait notamment de l’obligation religieuse de s’abstenir de viande les vendredis et pendant le Carême.