Eaux vivantes : planctons, poulpes et pouffres

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Le peuple des eaux a longtemps été vu comme fantastique, ou redouté, suscitant l’inspiration la plus folle des artistes et des romanciers : qui n’a pas rêvé de monstres aquatiques au bord du Loch Ness ou de calmars géants à la lecture des Vingt mille lieues sous les mers ? Les scientifiques nous ont invités à oublier les sirènes découvrir un monde d’une richesse incroyable et d’une diversité étonnante où pullule le plus petit nutriment – le microscopique plancton – nourrissant le plus gros mammifère vivant - les si attachantes baleines. Aujourd’hui encore, les naturalistes découvrent des créatures vivant dans des profondeurs inexplorées et alertent sur la fragilité menacée de ce silencieux et gigantesque paradis bleu.

23 - Perdre pied !

 

Chris Kentis : En eaux profondes (Open water). Affiche. 2004

Peter yates : Les grands fonds (The deep). Affiche. 1977

 

Dans les abysses insondables, une obscurité totale ouvre à tous les possibles. On imagine des créatures gigantesques, de traîtres courants, des épaves mystérieuses ou des trésors inestimables. Pas étonnant que le thriller et le cinéma d’aventure se soient emparés de ce cadre. C’est le cas d’Open water, film à petit budget réalisé par Chris Kentis et sa femme, eux-mêmes plongeurs, qui raconte l’angoissante aventure d’un couple oublié sur une barrière de corail. Quant à The Deep, il serait à l’origine des... concours de tee-shirt mouillés. On y voit, en effet, dans la première scène Jacqueline Bisset émerger de l’eau dans cette affriolante tenue. L’eau au cinéma ? Angoisse et désir !

24 - Un homme à la mer !

 

François Vivarès : Jonas et la baleine. Eau forte. D’après le dessin de Nicolas Poussin et Gaspard Dughet. Vers 1750

 

D’origine aveyronnaise, le graveur et marchand d’estampes François Vivarès a fait sa carrière à Londres. L’estampe assure alors, en noir et blanc et en grand nombre, la diffusion de toiles de maître, ici une peinture de Nicolas Poussin illustrant l’histoire du prophète Jonas. Jonas a fui le commandement divin de prêcher la repentance à la ville de Ninive en embarquant vers une destination lointaine. Dieu déclenche une tempête et, pour calmer sa fureur, les marins tirent au sort un passager à sacrifier. Jonas est jeté par-dessus bord et englouti par un grand poisson (abusivement identifié à une baleine). Trois jours plus tard, celui-ci recrache le prophète, qui se repend. La composition de Poussin est remarquable par la présence des cinq personnages anonymes du premier plan, qui figurent, en leur diversité, la réaction des spectateurs face au déchainement sublime et terrifiant des éléments.

25 - Entre science et fantasmagorie

 

Ulisses Aldrovandi : Monstrorum historia cum paralipomenis historiae omnium animalium [Histoire des monstres augmentée de l’histoire de tous les animaux]. Bologne : Nicolò Tebaldini, 1642

 

Médecin, conservateur du jardin botanique qu’il avait fait créer à Bologne, professeur de philosophie et d’histoire naturelle, celui que l’on désigne parfois comme le « second Pline » ou l’« Aristote bolonais » est aussi un immense collectionneur. Il se vante de posséder un cabinet de curiosités de 18 000 spécimens dont un gigantesque herbier. À partir de ses propres collections et de sources externes, il travaille, avec une équipe de dessinateurs et de graveurs, à l’œuvre de sa vie, une encyclopédie abondamment illustrée de la science naturelle de son temps. Cependant dix des quatorze folios qui composent ce monument ne seront achevés et publiés que de manière posthume par ses disciples. C’est le cas de sa fascinante Histoire des monstres. Le lecteur moderne ne peut manquer d’être surpris d’y trouver, sous l’autorité d’un savant, un tel mélange de malformations naturelles et de fantasmagories tirées de textes antiques, de récits de voyageurs ou de racontars. Cette œuvre nous oblige en vérité à sortir de nos schémas mentaux pour essayer de pénétrer l’esprit de la Renaissance à mi-chemin entre autorité des textes et observation de visu, accumulation et classification, crédulité et curiosité. On peut aussi simplement s’abandonner aux délices de l’imagination, comme avec ce monstre marin aux écailles et à la poitrine de sirène, aux cornes et à la langue de diable.

26 - Embarquement immédiat sur le Nautilus !

 

Jules Verne : Vingt mille lieues sous les mers. Paris : Hetzel, [1877]

 

« L’année 1866 fut marquée par un événement bizarre, un phénomène inexpliqué et inexplicable que personne n’a sans doute oublié. » Ainsi commence ce célébrissime roman d'aventures, qui a fait rêver des générations d’enfants de tous les pays – il est l’un des livres les plus traduits au monde. L'histoire suit le professeur Aronnax, son domestique Conseil, et l'harponneur Ned Land, capturés à bord du Nautilus, un sous-marin révolutionnaire commandé par le mystérieux capitaine Nemo. À travers leur exploration sous-marine, ils découvrent des mondes inédits, des créatures étranges et des trésors engloutis. Les rencontres avec des calmars géants, les forêts de corail, et les batailles avec des monstres marins illustrent le génie de Verne pour la science-fiction et le récit d'aventure. Le titre de l’ouvrage, qui devait être initialement Voyage sous les eaux, renvoie non à la profondeur mais à la longueur du périple, soit 80 000 kilomètres. Cette édition, parue quelques années après l’originale, est illustrée de 111 dessins d’Alphonse de Neuville et Édouard Riou gravés sur bois par Henri Théophile Hildibrand, l’un des principaux interprètes de Gustave Doré.

 

27 - À vos masques, prêt, plongez !

 

Alfred Frédol (alias Moquin-Tandon) : Le monde de la mer. Paris : Hachette, 1865

 

« La mer n’est pas un vaste désert liquide ; l’eau qui est pour l’homme l’élément de l’asphyxie et de la mort, est pour des milliards d’animaux un élément de vie et de santé ». C’est ce monde merveilleux et largement méconnu de la mer que Moquin-Tandon, médecin, naturaliste et littérateur montpelliérain, entreprend de vulgariser dans une « histoire naturelle sans nomenclature barbare, sans prétention scientifique, sans anatomie repoussante », mais peut-être pas sans imagination, pour un écrivain coutumier des supercheries. L’œuvre interrompue par la mort de l’auteur en 1863 est éditée sous pseudonyme par son fils et ses amis savants dont Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Elle est illustrée de 200 vignettes gravées sur bois et de 21 planches sur acier tirées en couleur par un procédé innovant. Ici, pêchés à « 80 brasses de profondeur », des coraux. Ces animaux marins sont composés essentiellement de polypes qui vivent en colonie et forment des superorganismes, partageant un squelette calcaire. Capables des plus grandes structures complexes connues créée par des organismes vivants, ils sont cependant sensibles au réchauffement climatique et sont aujourd'hui en grand danger.

28 - Émerveillement et éducation

 

Charles-Auguste Millet : Les merveilles des fleuves et des ruisseaux. Paris : Hachette, 1888

 

Vaste leçon de choses, mêlant physique, géographie, ingénierie, histoire, histoire naturelle, le livre de l’ancien inspecteur des forêts Charles-Auguste Millet est un compendium de ce que le jeune éduqué doit connaître à une époque où le savoir scientifique est en passe de prendre le dessus sur les autres disciplines dans l’ordre du prestige et de l’utilité. La science va sauver le monde, et c’est la vocation d’un éditeur comme Louis Hachette, avec sa collection de la Bibliothèque des merveilles (175 titres), de la vulgariser au moyen d’ouvrages abordables.  L’illustration joue ici un rôle moins explicatif que narratif ou mnémotechnique. La représentation de l’aigle pêcheur est d’ailleurs en contradiction flagrante avec le texte qui le désigne comme un rapace diurne. Qu’importe : l’image est dynamique et frappe l’imagination !

29 - Cabinet de curiosités et musée de papier

 

Georges-Wolfgang Knorr : Les délices des yeux et de l'esprit, ou collection générale des différentes espèces de coquillages que la mer renferme […]. Nuremberg : 1760-1773

 

George Wolfgang Knorr était un graveur et naturaliste allemand, natif de Nuremberg. En phase avec son époque qui voit se développer un besoin de classifier et hiérarchiser les éléments naturels, il développe ses connaissances auprès du richissime médecin nurembergeois Christoph Jakob Trew, propriétaire d’une ménagerie et d’un cabinet d’histoire naturelle. Trew s’était entouré d’un groupe de scientifiques, d’artistes et de graveurs, qui firent de Nuremberg l’un des plus importants centres d’édition de livres d’histoire naturelle au XVIIIe siècle. Les 6 volumes et 190 planches que Knorr consacre aux coquillages contribuèrent à cette renommée par leur souci de rigueur scientifique et la qualité de leur illustration. La planche exposée montre un « casque emplumé noueux des Indes occidentales », nom à rallonge pour ce superbe bossu coloré, rappelant un heaume ou une coiffe. « On l’appelle, précise l’auteur, noueux à cause de ses bosses, et les dessins à flammes dont il est marqué et qui ressemblent à du papier marbré, lui ont fait donner l’épithète d’emplumé. »