Eaux furieuses : torrents, tempêtes et tsunamis
Pourquoi la pluie si douce et nourricière se transforme-t-elle parfois en orage rageur et dévastateur ? Noë, dans la Bible, Sindbad le Marin, dans les Mille et une nuits, les matelots échoués de l’Invincible armada, ou encore le capitaine Achab dans Moby Dyck, pourraient tous témoigner de la force destructrice de l’eau lorsqu’elle se met en colère en mer avec les tsunamis, à terre avec les crues ou dans les airs avec les tempêtes. Et l’heure n’est pas à la fête : les violents épisodes méditerranéens impressionnent de plus en plus, transformant en quelques heures, et parfois en quelques minutes, un paisible ruisseau en torrent impétueux. Faut-il désormais avoir peur de l’eau ?
37 - La crise de l’eau : comprendre pour agir
Congrès de l'eau. Montpellier : 24-26 mai 1923. Compte rendu des travaux. Montpellier : Roumégous et Déhan, 1923
L’expansion du bassin de vie de Montpellier et l’augmentation des besoins en eau de sa population entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles engendre l’inquiétude des territoires ruraux alentours, bien moins desservis en eau potable. De plus, dans un environnement marqué par les caprices et les excès du climat méditerranéen, le terrain était d’emblée favorable à une prise de conscience des milieux scientifiques et des pouvoirs publics. Cette situation encourage donc l’organisation d’un Congrès de l’eau en 1923 portant sur le département de l’Hérault en son entier. L’eau y est étudiée sous tous ses aspects : géologie, climat, exploitation, hydraulique. La carte présentée est une modélisation de ce que l’on appelle aujourd’hui un bassin versant. C’est-à-dire un territoire géographique bien défini correspondant à l'ensemble de la surface recevant les eaux qui circulent naturellement vers un même cours d'eau ou vers une même nappe d'eau souterraine. Les zones potentiellement inondables sont stratégiquement signalées.
38 - Sauve qui peut !
Sindbad le marin et d’autres contes des mille et une nuits. Illustré par Edmond Dulac. Paris : Piazza, 1919
Sindbad (ou Sinbad) le marin est un conte d'origine irakienne qui narre les aventures d'un marin de la ville de Bagdad du temps de la dynastie des Abbassides (vers 800). Durant ses voyages dans les mers de l'est de l'Afrique et du sud de l'Asie, Sindbad vit de nombreuses aventures fantastiques. Dans le premier voyage, dont est issue l’illustration exposée, Sindbad prend la mer avec d’autres marchands. Ils font escale sur une île, qui se met à bouger lorsqu’ils essaient d’y allumer du feu car ils se trouvent en réalité sur le dos d’une baleine. « Les plus diligents se sauvèrent dans la chaloupe, d’autres se jetèrent à la nage. Pour moi, j’étais encore sur l’île, ou plutôt sur la baleine, lorsqu’elle plongea dans la mer, et je n’eus que le temps de m’agripper à une pièce de bois qu’on avait apportée du vaisseau pour faire du feu. » L’auteur de cette vue est Edmond Dulac, illustrateur franco-britannique né à Toulouse en 1882 et mort à Londres en 1953. Il est l'une des figures majeures de l'âge d'or de l'illustration au Royaume-Uni. En 1919, les dessins, lavis et aquarelles originaux peuvent désormais être reproduits avec une qualité croissante grâce aux procédés photomécaniques qui ne cessent de se perfectionner depuis les années 1880 et permettent notamment de rendre, comme ici, les effets ondoyants de l’eau.
39 - « [...] les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s'ouvrirent. » (Genèse 7, 11)
Jacques Gamelin : Le déluge, 1779 © Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole
Un temps directeur de l’école de dessin créé par la Société des Beaux-arts de Montpellier, Jacques Gamelin est surtout connu pour ses scènes de batailles. Et c’est bien à une bataille singulière et terriblement inégale que se livrent les corps emportés par les flots. Les rescapés agrippés à leur refuge provisoire expriment toutes les nuances de la détresse. Cette mise en scène du récit biblique est une étude pour un tableau de l’église Saint-Vincent de Carcassonne, ville dont Gamelin est originaire et où il finira ses jours.
40 - Reconstruire face à l’adversité
Sébastien Bourdon : Le petit pont de planches. Eau-forte, burin.Vers1650
Né en 1616 à Montpellier d’un père qui était déjà dans le métier – les actes le désignent comme « maître peintre et vitrier » – Sébastien Bourdon est élevé dans la confession protestante à laquelle il restera fidèle toute sa vie. Cela ne l’empêche pas d'obtenir la reconnaissance officielle en devenant en 1648 l’un des douze membres fondateurs de l’Académie royale de peinture. Peintre de la reine Christine de Suède à partir de 1652, il est considéré comme l’un des représentants majeurs du classicisme français. Bourdon est non seulement le dessinateur de ce paysage à la composition très rigoureuse, il en est encore le graveur ainsi que le précise la signature en bas à droite. Au premier plan une passerelle de planches vient temporairement remplacer une construction en dur emportée par le courant. Elle témoigne de la résilience de l’homme face à la violence destructrice des eaux.
41 - De l’eau changée en vin ?
Adolphe Louis Donnadieu : Cabrières : source intermittente de l'Estabel. Phototypie. Reims : Bienaimé, 1907
Voir jaillir la source de l’Estabel est un privilège rare et parfois dangereux. Située près du village de Cabrières, dans l’Hérault, cette source n’a « vomi » ses eaux, selon l’expression employée depuis les chroniques du XVIIIe siècle, que huit fois au cours du siècle dernier. En 1907, la crue a duré un an. En 1996-1997, dernière manifestation connue, l’écoulement violent des eaux a provoqué d’importants dégâts matériels dans les villages environnants. Ce phénomène est le résultat d’une résurgence soudaine des eaux de pluie stockées dans un réseau de grottes souterraines. Ces eaux, très minérales, ont la particularité d’atteindre la température de 22,5 degrés et de créer des dépôts de tuf, une roche poreuse de couleur blanchâtre. Ces concrétions de tuf appelés « travertins » se déploient sur une aire importante au sein du terroir viticole de Cabrières.Si la culture locale de la vigne reste plus favorable sur des terres de schiste, une légende ancienne établit une relation entre l’Estabel et la qualité des vins de Cabrières. C’est ainsi que « L’Estabel, vin vermeil » aurait été présenté au roi Soleil par le prieur de Cabrières, Fulcran-Cabanon, en 1668.
42 - « Pour peindre la mer, il faut avoir navigué. » (Théodore Gudin)
Théodore Gudin : Marines au lavis. Paris : Couché, XIXe s.
Le spectacle tragique d’un naufrage nous renvoie à la puissance dévastatrice de la mer et à l'insignifiance humaine. La masse des navires et des flots apparaît démesurée, écrasant les corps minuscules des marins et des passagers. Lorsque Théodore Gudin fait ses premiers pas de peintre, l’émergence du romantisme bouleverse la perception de l’univers maritime. Les peintres transcrivent à la fois la grandeur et la puissance de la nature dans la beauté de l’océan et du ciel, le pittoresque des paysages marins et des ports, mais aussi l’horreur du déchaînement des éléments. Gudin – qui deviendra en 1830 peintre officiel de la Marine royale – exprime parfaitement cette sensibilité, avec le privilège d’avoir navigué. En effet, tout juste âgé de dix-sept ans, il embarque pour New York en septembre 1819, probablement au Havre, sur le brick américain Manchester-Packet. Il navigue durant trois ans, avec notamment des missions de surveillance des pêches au banc de Terre-Neuve, où il est témoin de nombreux naufrages. Il assistera également à la noyade de son propre frère dans les eaux de la Seine. Profondément marqué par ce drame, il sera plus tard à l’origine de la création de la Société nationale de sauvetage en mer.