Eau mystérieuse : boues, bains et baptêmes
Pour soigner, invoquer ou espérer, l’homme attribue à l’eau un pouvoir protecteur, purificateur voire salvateur. Qui ne s’est pas émerveillé à la vue des innombrables pièces de monnaies dans les fontaines de Rome ? Qui n’a pas ressenti un frisson à la découverte d’une petite bougie oubliée sur la fontaine de granit moussue dans une sombre forêt humide de Bretagne ? Qui ne s’est pas ému à la découverte de ces statues de vierge secrètement déposées à l’abri d’une source ? Comment ne pas être impressionné par un baptême par immersion ? Seule une fée complice, un lutin malin ou une onduleuse sirène pourraient nous l’apprendre.
43 - Coquine transparence
Jean Raoux : Diane au bain. 1721 © Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole
« Non loin était un vallon couronné de pins et de cyprès. On le nomme Gargaphie, et il est consacré à Diane, déesse des forêts. Dans le fond de ce vallon est une grotte silencieuse et sombre, qui n'est point l'ouvrage de l'art. Mais la nature, en y formant une voûte de pierres ponces et de roches légères, semble avoir imité ce que l'art a de plus parfait. À droite coule une source vive, et son onde serpente et murmure sur un lit de gazon. C'est dans ces limpides eaux que la déesse, fatiguée de la chasse, aimait à baigner ses modestes attraits. Elle arrive dans cette retraite solitaire. Elle remet son javelot, son carquois, et son arc détendu à celle de ses nymphes qui est chargée du soin de les garder. [...] » (Ovide, Les Métamorphoses) Cette délicieuse quiétude sera, on le sait, troublée par l’arrivée d’Actéon... Comme Boucher ou d’autres peintres du XVIIIe siècle, Jean Raoux, artiste d’origine montpelliéraine, fait de ce thème mythologique le prétexte à une scène érotique. Nous ne voyons pas Actéon car nous sommes Actéon. Et sous la chaude lumière vénitienne, l’eau se fait la transparente complice de ce voyeurisme raffiné.
44 - À la recherche du corps pur
Albert Fabre : « Vue de l’ancienne piscine des juifs ». Dans : Montpellier. Portraits. Scènes historiques. Œuvres d’art. Monuments. [Montpellier] : [1897]
Les ablutions rituelles destinées à la purification du corps jouent un rôle important dans le judaïsme comme en islam. Le bain juif – le mikvé – s’applique surtout aux femmes dans des circonstances déterminées : à la fin des règles, avant le mariage, à la naissance d’un enfant. À Montpellier, sous un hôtel particulier de la rue de la Barralerie, au cœur du quartier juif médiéval, subsiste, dans un état exceptionnel de conservation, un bassin qui servit à cet usage entre le XIIe et le début du XIVe siècle, soit entre l’arrivée à Montpellier de Juifs chassés d’Andalousie et leur expulsion de France par Philippe le Bel. Il était alimenté par remontée de la nappe phréatique, préservant ainsi la pureté de l’eau de toute manipulation humaine. La gravure de Rodriguez exécutée d’après un dessin d’Albenas, exagère démesurément les dimensions de l’édifice.
45 - Une bonne adresse !
Tommaso Giunta (éd.) : De Balneis omnia extant apud graecos, latinos et arabas, tam medicos quam quoscumque ceterarum artium probatos scriptores… [Tout ce qui concerne les bains ...]. Venise : Giunta, 1553
En une époque où la valeur curative des eaux thermales fait discussion, ce recueil compilé par l’éditeur vénitien Tommaso Giunta réunit 70 textes sur le sujet tirés des médecins gréco-latins et arabes, des auteurs de la Renaissance comme Michel Savonarole – le grand-père du prédicateur – et de contemporains, comme Conrad Gessner qui y dresse un tableau des stations thermales de Suisse, d’Allemagne et d’Europe centrale. L'ouvrage est illustré de cinq gravures sur bois à pleine page. Celle-ci représente les bains de Plombières, dans les Vosges, connus depuis l’Antiquité et dont les vestiges antiques subsistent encore. Montaigne y séjourna et nous en donne une description : « L’eau chaude n’a ni senteur ni goût, et est chaude tout ce qui s’en peut souffrir au boire ; quant au bain, il est de très douce température et de vrai les enfants de six mois et d’un an sont ordinairement à grouiller dedans. [...] On y observe une singulière modestie, et il est indécent aux hommes de s’y mettre autrement que nus sauf un petit braie, et les femmes sauf une chemise. Les hôtesses y font très bien la cuisine. » Montaigne like : les bains de Plombières, sont ceux « où il y a le plus d’aménité de lieu, de commodité de logis, de vivres et de compagnie. »
46 - Curatif, caritatif, récréatif
Ernest Le Brun et Numa Polge : Plan général de l'établissement des bains de mer du Midi : Paris : 1857
La mode des bains de mer – ils avaient alors un but essentiellement thérapeutique – s’est développée en Angleterre au XVIIIe siècle et le premier établissement est construit à Brighton en 1783. Le mouvement atteint la côte atlantique française au début du XIXe siècle et celle de la Méditerranée au milieu. En 1847, Coraly Hinsch, une missionnaire protestante, crée le premier établissement de bains à Sète. Le protestantisme est du reste très actif dans cette activité de charité puisque l’église réformée de Nîmes fonde une institution au Grau-du-Roi et celle de Sète inaugure le Lazaret en 1865. Le projet présenté ici est le fait d’entrepreneurs laïques, les frères Deshayes, qui cherchent à développer le modeste établissement qu’ils ont ouvert en 1854. Il s’agit désormais de proposer aux curistes, au-delà des soins médicaux, un hébergement 4 étoiles et tout un ensemble de divertissements. Ce document témoigne ainsi de l'essor du tourisme balnéaire.
47- Petit tour de France du thermalisme
Diverses brochures sur les sources thermales. XIXe s.
L’essor du thermalisme au XIXe siècle se traduit par l’efflorescence de toute une littérature médicale (ou) promotionnelle analysant (vantant) les propriétés des différentes eaux.
48 - Eau lustrale et imbroglio juridique
Gratien : Décret. Manuscrit sur vélin : [ca. 1301-1400]
Le Décret est une somme de droit canonique – le droit qui régit l’Église – compilée en Italie au XIIe siècle. Dans cet exemplaire du XIVe siècle, le texte est entouré d’un commentaire, une glose. L’enluminure représente une scène de baptême. Ce rite, qui marque l’entrée dans l’Église, remonte aux origines du christianisme. L’apôtre Paul en explicite la signification : l’immersion symbolise la mort du vieil homme et la sortie de l’eau, la naissance d’un homme nouveau. L’enfant est ici tenu par un homme et une femme censés être les parents. Mais l’étude de cas illustrée par cette miniature envisage la situation où, à l’occasion d’un baptême de masse, un père et une mère auraient tenu l’enfant d’un autre couple, devenant ainsi parents spirituels (parrain et marraine) du nouveau-né. Cette sorte de « consanguinité spirituelle » fortuite est-elle de nature à empêcher un futur mariage ? Tel est l’imbroglio juridique que doit trancher l’évêque siégeant à gauche de l’image.
Un grand merci à Maria Alessandra Bilotta, Docteur en Histoire de l'art, chercheur de l'Institut d'études médiévales (IEM) de l'Universidade NOVA de Lisbonne pour l’expertise précieuse de cette mystérieuse enluminure.