L’eau nulle part ?

photo couleurs rivière assèchée

Water, is taught by thirst.

Land - by the oceans passed,


avait merveilleusement prophétisé Emily Dickinson - l’eau s’enseigne par la soif ; la terre, par la perte des océans - et voilà qu’aujourd’hui, ce monde a bel et bien soif. Pompes, piscines et bassines épuisent les fruits de la pluie et confisquent les filles des sources qui deviendront un jour une vieille légende enfouie dans la mémoire de la terre. Voici la belle leçon de l’eau vive : qui contrevient à la nature s’engage sur une voie aride, stérile et mortelle.

 

49 - La terre craque

 

Jean Gabriel Cosculluela : L'envers de l'eau. Photographie de Jacqueline Salmon. Saint-Clément-de-Rivière : Fata Morgana, 2005

 

Ce livre d’artiste, publié par la maison d’édition héraultaise Fata Morgana, réunit des textes du poète (et conservateur des bibliothèques...) Jean Gabriel Cosculluela et quatre tirages en noir et blanc de la photographe Jacqueline Salmon. Cet « envers de l’eau » nous expose sans concession à une angoissante question : comment pourra(i)t-on vivre sans elle ?

50 - Un puits caché dans le désert ?

 

Antoine de Saint Exupéry : Le Petit prince. New-York : Reynal et Hitchcock, 1943

 

« Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.… » Tel est, dans sa fausse simplicité enfantine, le message d’espérance que nous laisse le petit prince. Fable poétique et conte philosophique véritablement universel – c’est l’ouvrage le plus traduit au monde après la Bible – Le Petit prince doit une partie de son pouvoir de fascination aux illustrations qui sont de Saint-Exupéry lui-même. L’exemplaire présenté appartient à l’un des tirages de l’édition originale parue en 1943 à New-York, où l’aviateur est réfugié et d’où il espère retourner au combat.

51 - Pourtant, que la montagne était belle….

 

Marc-Théodore Bourrit : Nouvelle description des vallées de glace et des hautes montagnes qui forment la chaîne des Alpes Pennines et Rhétiennes. Genève : Barde, 1783

 

Issu d’une famille cévenole exilée en Suisse pour des raisons religieuses, artiste talentueux, qui était aussi chantre et musicien, Marc-Théodore Bourrit est considéré, avec le grand De Saussure, comme le fondateur de l’alpinisme et des études alpines. Admirateur inconditionnel de la haute-montagne et de ses glaciers, cet aventurier insatiable a décliné sa passion sous toutes les formes et approches : dessin, peinture, écriture, randonnées, escalade. Son nom est attaché aux plus belles représentations de la montagne, grâce notamment à une maîtrise du lavis qui en magnifie la lumière et sublime l’eau glacée. Son héritage iconographique est précieux sur le plan documentaire, en dépit d'un goût certain pour le spectaculaire : grâce à une connaissance poussée du terrain et à un souci indéniable de précision, les vues de Bourrit nous permettent aujourd’hui de prendre la mesure du recul catastrophique des glaciers. C’est le cas du glacier du Rhône représenté dans cette gravure.

52 - Quelle trace restera-t-il de nos pas ?

 

Paul Valéry : Je marchais sur le bord même de la mer : extrait d'Eupalinos ou l'Architecte. Gravures de Judith Rothchild. Octon : Verdigris, 2016

 

Eupalinos – c'est le nom (ou le prête-nom) d’un architecte grec – est écrit à la manière d’un dialogue de Platon. Dans le royaume des morts, sur les rives du fleuve Temps, Socrate converse avec son ancien disciple Phèdre et se penche avec regret sur sa vie passée : il aurait pu être architecte et non philosophe, anti-Socrate et non Socrate. Sous cet hellénisme de forme et de jeu, Paul Valéry met beaucoup de lui-même, de ses idées, de ses souvenirs peut-être aussi. Ce mystérieux objet trouvé par Socrate sur la plage, dont ne on sait s’il est l’œuvre des hommes, de la vie ou du temps, ne rappelle-t-il pas ce coquillage ramassé du côté de Maguelonne par le poète encore adolescent ? C’est cette marche sur la grève que Judith Rothchild, artiste américaine installée à Octon, dans l’Hérault, choisit d’illustrer. Elle utilise la gravure dite à la manière noire, ou mezzotinte. Cette technique très exigeante – elle permet peu de repentirs – offre un velouté remarquable, grâce à un criblage complet de la plaque d’impression. Ces compositions – et le jeu typographique qui en surligne le sens – évoquent les traces laissées sur le sable, vite effacées par le va-et-vient de la mer. Évanescence de toute chose : quelle trace restera-t-il de notre marche ?

53 - L’eau, ce transparent objet du désir

 

Emily Dickinson : L’eau, est révélée... Traduction Philippe Denis ; illustré par Laurence Bourgeois. Montagnac, 2004

 

Poète et plasticienne, Laurence Bourgeois crée dans son atelier de Rivel (Aude) des « écrits poétiques de verre et papier », en usant d’une palette de techniques très variées. Quel matériau mieux que le verre pouvait évoquer l’eau et illustrer le poème d’Emily Dickinson qui, selon la traduction proposée, commence par ses mots : « L’eau est révélée par la soif. » Platon nous l’avait enseigné : l’amour est fils de richesse et pauvreté, richesse de l’objet désiré, pauvreté de son absence. Faudra-t-il aller jusqu’au manque d’eau pour réveiller notre désir ?